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En toute inquietude
[ Jean-Luc Piraux ]
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Anne-Marie Loop, regard extérieur

Formée au Conservatoire de Liège, la comédienne Anne-Marie Loop a notamment travaillé sous la conduite de Philippe Van Kessel (Karl Valentin), Isabelle Pousseur (« Le Géomètre et le messager »), Jacques Delcuvellerie (« La mère » de Brecht, Arkadine dans « La Mouette » de Tchekhov)… tout en participant à un nombre incalculable de productions pour enfants avec le Zététique Théâtre ou la Galafronie. En 2011, elle a reçu le prix de la Meilleure comédienne aux Prix de la Critique.


En amont du travail, c’est toi qui as proposé qu’Olivier Boudon mette en scène le nouveau solo de Jean-Luc Piraux. Comment t’es venue cette idée ?
Olivier avait travaillé sur le clown et sur les textes de Karl Valentin quand il était mon étudiant à l’Insas. Il avait aussi dirigé le one woman show d’une étudiante, et cela fonctionnait très bien. Jean-Luc part toujours d’improvisations, à partir desquelles s’écrit le spectacle. Je pensais qu’il fallait quelqu’un qui ait une capacité de réception, d’écriture, de simplification scénique, qui pourrait élaguer les fioritures. Je pensais qu’il fallait aider Jean-Luc à être dans un jeu plus épique – c’est-à-dire centré sur son récit à lui, ici et maintenant. Je crois qu’on y est parvenu : Jean-Luc est « là », il n’est pas un « autre » qui viendrait nous raconter une histoire. Il peut endosser la question fondamentale : comment raconter son père en scène ? Comment saisir un être ? On sort de l’éthique pour une approche beaucoup plus polymorphe, avec des contradictions et des oppositions qui éloignent de toute tentation moralisatrice.
Pas de morale. C’est plutôt la maladresse, le tâtonnement, qui sont ici érigés en art…
C’est cette maladresse qui me fait particulièrement aimer Jean-Luc. Pour moi, il est l’« être de l’art brut ». C’est un poète en dehors de la violence, qui vient avec ses petites marguerites qu’il jette au vent ! Le monde est violent. Quel protecteur permet que cette maladresse perdure ? Comment se fait-il qu’il ne soit pas découragé ? Je ne peux pas comprendre – je suis sans doute trop urbaine. Alors je l’admire.
Jean-Luc ne fait pas seulement de cette maladresse un sujet de scène, il la vit aussi en vrai. Un jour, il était aller réparer un truc sur le toit de sa maison. Le voilà qui glisse, et il tombe du toit. Il va mourir ! Mais il tombe dans le landau, rangé là par hasard, et la petite voiture se met à rouler. Alors il rit. Puis il rentre dans sa maison, sa femme lui dit : « T’es un peu pâle, ça va ? ». Et lui répond : « Oui oui ». Il ne raconte pas, pour ne pas l’inquiéter !

Comment définir le rire dans son travail ?
C’est un rire qui ne repose pas sur des jeux de mots, ni sur la moquerie (du type : l’autre est comme ça, comme c’est idiot). Dans son écriture, Jean-Luc se place au centre du problème et essaye de se dépatouiller. Donc c’est par le travail du corps, de la sensibilité et de la maladresse qu’il essaie de s’en sortir. C’est le rire provoqué par celui qui n’avait pas vu l’obstacle, par celui qui ne savait pas que le monde était comme il est. Pour moi, les « inadaptés » sont des personnes qui sont dans la matière, dans l’impuissance, et qui font de l’art avec cet impuissance – et pas avec de gros effets techniques. Ils parlent de la dépossession, des conflits de notre humanité balbutiante. Ces inadaptés interrogent le monde dans lequel on est. Leur rire est révolutionnaire parce qu’il nous donne la capacité de nous réapproprier les choses, au lieu de nous y enliser. Et rire, c’est commencer à ne plus souffrir…


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